• Je ne sais pas mais je crois avoir compris

     

    Je ne vous parlerai pas du cancer et des souffrances de mon ami. C'est privé. Mais je voudrais, dans cet article, rapporter les évènements de ce week-end.

    Samedi 27 novembre, autour de 10:30, j’appelle l’hôpital où l’on a admis mon ami quelques jours plus tôt. Il m’a donné ce numéro commençant par 08 le mercredi 24 novembre.

    Mercredi 24 novembre : c’est la dernière fois que j’ai ai entendu sa voix.

     

    Samedi 27 novembre 2010

     

    J’appelle, donc, et je tombe sur un serveur vocal : Si vous souhaitez parler à un patient, dites "patient" ; si vous souhaitez prendre rendez-vous, dites "rendez-vous" ; pour toute autre demande, merci de dire "autre demande".

    - Patient, je dis.

    - Patient, répète une voix détimbrée. Énoncez clairement le nom du patient à qui vous souhaitez parler. Par exemple, pour Marcel Blanchard, dites Marcel Blanchard ou Monsieur Blanchard.

    - Albert Debraque, j’articule distinctement.

    - Merci. Nous allons vous mettre en relation avec Albert Debraque.

     

    Ça sonne. Après deux ou trois sonneries on décroche. J’entends une toux féroce à l’autre bout du fil. Ca m’effraie. Je sais qu’il tousse, mais à ce point…

    - Bonjour Albert, je lui dis quand il s’arrête de tousser, c’est Thaddée.

    Un bredouillement inintelligible répond à ces quelques mots, qui me gêne encore plus que sa toux.

    - Comment vas-tu je lui demande.

    - Oh ça va pas du tout, me répond-il, on m’a opéré ce matin…

    Et s’ensuivent des tas d’explications auxquelles je ne comprends rien. Au bout d’un instant je l’interromps. Le doute, l’embarras, me remplissent du maladresse.

    - Excusez-moi, vous êtes bien Albert Debraque ?

    Quelques secondes passent.

    - Ah non fait-il complètement déconnecté.

    Je lui souhaite bon courage et je raccroche.

     

    Je rappelle.

     

    - Si vous souhaitez parler à un patient dites "patient" ; si vous souhaitez prendre rendez-vous…

    - Monsieur Debraque, j’articule avec insistance au moment voulu.

    - Merci. Nous allons vous mettre en relation avec Albert Debraque.

    Ca sonne.

    Occupé.

    Je raccroche.

     

    Je rappelle.

     

    - Si vous souhaitez parler à un patient dites "patient".

    - Monsieur Debraque, je répète le cerveau à moitié lavé.

    - Merci. Nous allons vous mettre en relation avec Albert Debraque.

    Ca sonne.

    Ca sonne.

    Ca sonne.

    Dans le vide.

    Je raccroche.

     

    Je rappelle.

     

    - Si vous souhaitez parler à un patient…

    - Monsieur Debraque.

    - Merci. Nous allons vous mettre en relation avec Albert Debraque.

    Ca sonne.

    Ca sonne.

    Ca sonne.

    Dans le vide.

    Je raccroche.

     

    Dans l’après-midi je rappelle.

    - Si vous souhaitez…

    - Patient.

    - Patient, répète la voix détimbrée. Énoncez clairement le nom du patient à qui vous souhaitez parler. Par exemple, pour Marcel Blanchard…

    - Monsieur Debraque, je dis d’une voix détimbrée.

    - Pardon. Nous n’avons pas bien compris votre demande. Par exemple, pour Marcel Blanchard, dites Marcel Blanchard ou Monsieur Blanchard.

    - Albert Debraque, je dis rageusement.

    - Pardon. Nous n’avons pas bien compris votre demande. Souhaitez vous parler à Héloïse Albertin ?

    - …

    - Pardon. Nous n’avons pas bien compris votre demande. Souhaitez-vous parler à Héloïse Albertin ? Répondez par oui ou par non.

    - Non ! je me récrie rageusement.

    - Nous n’avons toujours pas compris votre demande. Nous allons vous diriger vers le standard, ne quittez pas.

    Je ne risque pas de quitter. Ca vous tétaniserait n’importe qui ces histoires de fou. Une voix (humaine ! ) s’adresse à moi. Enfin.

    - A qui désirez-vous parler ?

    - Albert Debraque, lui dis-je avec reconnaissance et soulagement.

    - Ne quittez pas je vous le passe.

    Ca sonne.

    Ca sonne.

    Ca sonne.

    Dans le vide.

    Je raccroche.

     

    Dimanche 28 novembre, le matin. Je rappelle l’hôpital.

     

    - Bonjour et bienvenue… Si vous souhaitez parler à un patient…

    - Patient.

    - Patient, répète la voix détimbrée. Énoncez clairement le nom du patient à qui vous souhaitez parler.

    - Albert Debraque.

    - Pardon. Nous n’avons pas bien compris votre demande. Souhaitez-vous parler à Heloïse Albertin ?

    - Non !

    - Pardon. Nous n’avons pas bien compris votre demande. Souhaitez-vous parler à Adélaïde Georgette ?

    - Non !!!

    - Pardon. Nous n’avons toujours pas compris votre demande. Nous allons vous diriger vers le standard, ne quittez pas.

     

    - Bonjour, me dit la voix humaine, à qui désirez-vous parler ?

    - Albert Debraque, dis-je à bout de forces.

    - Attendez. Je regarde.

    L’effroi me glace jusque dans la moelle des os.

    - Vous avez bien dit Albert Debraque ?

    - Oui, je réponds d’une voix blanche. Albert Debraque.

    - Il est sorti.

     

    - Il est sorti je répète avec hébétude. Comment ça il est sorti ?

    - Il est sorti hier.

    - Mais où ! je demande, où il est allé ? Où est-ce qu’on l'a transféré.

    - Je ne peux pas vous dire je ne sais pas.

    J’étouffe. Je n’y vois plus clair.

    - Est-ce qu’il est… décédé ? je demande sans forces.

    - Je ne peux pas vous dire. Je ne sais pas.

    Je raccroche.

     

    Je rappelle chez lui : la messagerie est toujours saturée, on ne peut plus laisser de message.

     

     

    Mercredi 1er décembre 2010 - 12:29

     

    Je viens d'apprendre sa mort.

     


    7 commentaires
  • DSCI0002-1DSCI0001-1-copie-1

     

       L'église du Bourg

      à Sainte-Foy (69)

     

     

          ... et un oranger en novembre

     

    DSCI0003-1-copie-1


    3 commentaires
  • Etre-d-chir--de-Mistic.jpg

                   Image donnée par Mistic

     

    Des garçons aux cils noirs danseraient sous la lune

    Autour d’un feu de pierres d’ossements et de plumes

      

    Tabou Tribu Totem

     

    A la lueur des torches des hommes torse nu

    Tordraient entre leurs doigts de longs serpents de corde

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Et des pierres d’Alun dérobées aux carrières

    Importent la Syrie dans des cubes de givre

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Oscillent balanciers des pendules d’argent

    Les garçons aux cils noirs ondulant sous la lune

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Une pierre d’Alun sur un autel de pierre

    Injecte sa lumière à notre nuit polaire

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Toi tu les attendrais tous ces jeteurs de sort

    Les cils perlés de froid figé devant la mort

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Les sorciers dansent nus sous le feu qui s’élance

    Ils se couchent brûlants sur l’acier froid des lances

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Et les tribus en rut se rouleraient par terre

    Hululent des femelles aux seins perlés de lait

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Qui portent dans leur ventre une ombre de sorcier

    Passe à travers le ciel un bien obscur présage

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Les aigles tournent court sur les cimes aiguës

    Vois-tu sous le totem ramper le chat sauvage

     

    Tabou Tribu Totem

     

    Je t’invente une histoire que tu n’écoutes pas

    Une histoire de fou Il était une fois

     

    Mais je perds la mémoire et ne me souviens plus

    Tabou. Tribu. Totem. Tabou. Totem.

                       Tribu.©

     

     

                                               © 2010 Crisis TS


    8 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires