• Amor, 1ère partie Chap. II (fin)

    « Je croyais que nous étions seuls vous et moi » lui fis-je remarquer en me raidissant. « Nous l’étions à l’instant, dit-il avec un certain détachement. La roue tourne. »

     

    - Et eux, ils vont et viennent comme ils veulent ?

     

    - Mais toi aussi, que ce soit bien entendu, tu peux aller et venir à ta guise.

     

    En étouffant un gémissement je le poussai pour dégager la porte et sortir devant chez moi. Personne sur le palier. L’escalier était désert. Plus aucun bruit ne montait des étages inférieurs. Dans l’obscurité des murs tendus de tissu, du plancher revêtu de moquette, on ne percevait que les deux temps de nos deux respirations. La mienne tournait court, j’avais trop de peine à comprendre ce qui se passait. La sienne, profonde et mesurée, rendait la mienne encore plus follement nerveuse et fébrile.

     

    A tâtons je cherchais un interrupteur. Il devait y avait une minuterie quelque part. Il devait bien y avoir l’électricité ! « Pour quoi faire on se le demande grondai-je au bout du rouleau, bénie soit la lumière du jour. » On était au dix-neuvième siècle et un préposé, sacoche en bandoulière et perche à crochet sur l'épaule, devait se ramener pour moucher, à cette heure, les becs de gaz. Je me pris à rire de cette histoire de fous. Accoudé sur le mur, la tête au creux du bras, je m’en étouffais mais Pierre ne réagissait toujours pas.

     

    - Tu sais quoi, lui dis-je après m’être repris, avec l’accent de la menace, c’est un jeu qui ne m’amuse pas du tout. Alors ta porte de l’espace-temps tu la rouvres et tu me renvoies là d’où je viens, chez moi, au vingt-et-unième siècle. Et tu me rends tout ce qui m’appartient.

     

    - Je ne te dépossède en rien de tout ce qui t’appartient.

     

    - Ah non ?

     

    Je fis volte-face avec une imprévisible violence histoire de le déstabiliser un bon coup mais il restait là figé sur place avec la persistance de l’inerte et la patience infinie d’un objet. « C’est quoi ce cirque !? » lui criai-je à la figure et je lui désignais d’un mouvement circulaire la mansarde et le palier, l’escalier, la maison, la rue supposée dans laquelle elle était construite et la ville où l’on pouvait remonter cette rue si tant qu’elles existent, la ville, et la rue, et la maison !

     

    - Toi tu existes dit-il froidement.

     

    Ce fut les trois derniers mots qu’il proféra du moins ce matin-là. J’en avais tellement ma claque de ses répliques à la con. Celle qu’il reçut, de claque, appliquée de plein fouet sur la joue droite, le cloua sur le mur de fond. Il y resta pour ainsi dire scotché les bras faiblement écartés, les paumes à plat derrière lui, tandis qu’un peu de rougeur empourprait ses minces et souples maxillaires. Et le regard qu’il dardait sur moi n’était ni plus ni moins ardent qu’à l’accoutumée.

     

    - Dégage, commandai-je d’une voix brève.

     

    Il se redressa, remit bon ordre aux lourds drapés de sa robe et traversa la pièce d’un pas assuré. Ma parole… rien ne l’ébranlait ?

     

    - Pierre, le rappelai-je encore plus brièvement alors qu’il s’engageait dans l’escalier.

     

    Mais il tenait bon la rampe et, cette fois, ne s’arrêta pas.

     

     

    [A suivre]

     

    « La mouche et la mixité socialeLes identités plurielles »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 28 Octobre 2010 à 15:01
    Anne-Marie Lejeune

    Hou la la !,que de violence !

    Remarque, je le comprends l'Arpenteur !

    Moi, à sa place, je l'aurai balourdé direct dans l'escalier Saint Pierre le marmoréen !

    Il faut avouer que jesuis claustro à un point ! Alors cet enfermement, même tout près du ciel, je crois que... j'en mourrais ! Mais l'Arpenteur n'est-il pas déjà mort ???

    Ah, je ne nage plus dans le suspens, je m'y noie !

    Alors je vais attendre la suite ! Mais vais-je pour autant reprendre mon souffle ?

    Mystère !

    Bisous doux et merci d'avoir publié la suite !

    2
    Jeudi 28 Octobre 2010 à 21:22
    Mosca

    C'est pour toi que je l'ai publié, personne d'autre ne lit, en tout cas pas que je sache. Bonne soirée à toi, merci pour tes passages.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :