• Impressionnisme Hier matin j'allai au marché pour y chercher légumes et fruits de saison. Mais adieu légumes et fruits de saison : je tombai net sur un bouquiniste. Un libraire ambulant. J'y dénichai d'abord les Contes italiens  d'Italo Calvino dont je parle dans mon article ci-dessous. Puis cette petite merveille, Chefs-d'oeuvre de l'Impressionnisme français par Diane Kelder. Ce n'est pas tant que je m'intéresse à l'impressionnisme. Mais je craque sur les tout petits livres. Une première fois publié sous forme d'album, le livre sort ensuite en format de poche : 10x12, non paginé, relié, bourré d'oeuvres de Manet, Monet, Renoir, Degas, Toulouse-Lautrec, Cézanne... comment résister ?

    A ma décharge : je peux encore lire les caractères minuscules de ce genre d'édition, alors c'était maintenant ou jamais.


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  • "Le Masque Micillin / l'emporte toujours au plus fin, /
    et son oeil est si tordu /  qu'on en meurt, n'en faut pas plus."

    Masque peint du XVIII ° siècle employé par les sorcières pour le dédoublement de la personnalité. Musée ethnographique, Palerme.

     

    Italo Calvino, Fiabe italianneItalo Calvino, Contes italiens

                                       COLLECTION FOLIO BILINGUE
                                     Traduit de l'italien par Nino Frank

     

    *****

     

    Je n'ai aucun talent de critique littéraire ; j'ai beaucoup de mal à raconter les livres que j'ai lus. Mais celui-ci je l'ai dévoré d'une traite (en deux jours pour tout dire ; injuste pour Calvino qui a dû mettre des mois à l'écrire...) et je voulais quand même en parler un peu.

    Pour constituer ce recueil de contes issus du folklore national, Calvino a plongé dans la mémoire des régions italiennes : Ligurie (L'homme tout vert d'algues) ; Montferrat (Les trois châteaux) ; Trentin (La bague magique) ; Istrie (Beau-Front) ; Ligurie (Corps-et-pas-d'âme) ; Piémont (Le nez d'argent) ; Turin (Le Prince canari) ; Piémont (La barbe du Comte) ; Sicile (Un navire chargé de...) ; Sicile (Colas Poisson) ; Sicile (Les noces d'une Reine et d'un brigand).

    Moi, ce qui a frappé mon attention tout de suite, c'est la grande liberté que prend Calvino avec les "accords de temps". Il passe allègrement du présent à l'imparfait au sein d'une même phrase. Un "vice" de traduction ? - Je ne pense pas, pour avoir jeté un coup d'oeil sur la version originale (italienne) placée vis-à-vis de la traduction de Nino Frank. Je ne pratique pas l'italien mais il n'est pas sorcier d'y déceler les mêmes "infractions" grammaticales. Heureuses infractions, qui donnent au récit ce ton "parler" très nonchalant et déluré.

    "Un certain garçon s'était mis dans la tête d'aller faire fortune. Il prend congé de sa mère, puis s'en va à la ville en quête de travail. Dans cette ville, il y avait un roi, il possédait cent brebis et personne ne voulait s'employer chez lui en qualité de berger. Notre garçon y va. Le Roi lui dit : "Écoute bien, voici les cent brebis". (Les trois châteaux)

    Cette naïveté joviale se retrouve dans tous les contes, truffés de rois, de princesses enlevées et captives, de châteaux qui se déplacent par magie, de lions, de chiens, de chats, de fourmis, de Masques (sorcières). Tout est relaté sur un ton si pépère qu'on se prend à sourire :

    "Au château, le Magicien ne comprend rien aux vertiges qui lui viennent... Au château, le Magicien se trouve dans la nécessité de s'aliter... Au château, le Magicien a une fièvre de cheval, il se ratatine sous ses couvertures." (Corps-et-pas-d'âme)

    Nunuche un tantinet, pour notre plus grand plaisir. Et puis, de vrais beaux passages, presque des tableaux rouges et noirs :

    "Dès qu'il était venu au monde, sa mère, le voyant si menu, pour le garder en vie et lui donner un peu de robustesse, l'avait baigné dans le vin chaud. Pour que le vin chauffe, son père avait mis dedans un fer à cheval rouge comme le feu. C'est ainsi que Masin, au travers de sa peau, avait attrapé la ruse qui est dans le vin et l'endurance qui est dans le fer. Après cette baignade, et pour lui donner quelque fraîcheur, la mère l'avait bercé dans une coquille de châtaigne encore toute verte, et donc bien amère, qui donne de la jugeote." (La barbe du Comte)

     

    Maintenant que ce livre est achevé, je peux dire qu'il ne s'est pas agi d'une hallucination, ni d'un accident de travail, mais plutôt d'une confirmation de quelque chose que je savais déjà au départ [...] et qui m'a poussé à faire ce voyage à travers les contes de fée : les contes sont vrais." [Italo Calvino]

     


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  • DSCI0004-2Du point de vue des spécialistes (lesquels je ne sais pas, des sociologues sûrement)) toutes les générations se plaignent de leur époque et regrettent le bon vieux temps. Nous, nous soupirons : "De notre temps les jeunes n'étaient pas comme ça, il y avait moins de violence. La vie était bien moins chère. Il y avait moins de pauvres gens dans les rues. Il y avait moins de stress et de pression. Et tous ces attentats..." Nous oublions que nos grands-parents, nos parents, ont connu la guerre et la faim. Nous préférons ignorer qu'avant, l'information ne circulant pas comme aujourd'hui, nous étions moins au courant de ce qui se passait dans le monde. Nos parents, eux, soupirent après les vertes campagnes et les balades à vélo dans les chemins fleuris ; déplorent que les jeunes générations n'aient plus le sens de l'engagement : les valeurs familiales et religieuses se sont perdues. Nos enfants, par des étés à 50° sans une goutte de pluie, regretteront "le bon vieux temps" des étés où il ne faisait que 35°. Les anciens, à Rome, se plaignaient déjà des embouteillages, des mauvaises odeurs et du bruit. Plus globalement, de la société qu'ils avaient sous les yeux. Témoin Pétrone.

    Contemporain de Néron, Caius Petronius Arbiter, dit Pétrone (décédé en 66) a d'abord exercé la fonction de proconsul en Bythinie. Puis, il est nommé consul, attribution plus honorifique que politique à l'époque. Il consacre alors beaucoup de temps à l'organisation des fêtes de l'Empire. En devenant membre reconnu de la cour de Néron, Pétrone s'est aussi forgé quelques inimitiés. Ainsi, Tigelin, préfet du Prétoire, le fait accuser d'avoir participé à une conjuration. Soupçonné de trahison par le tyran, il est contraint de se suicider en se tranchant les veines. Avant de mourir, il trouve pourtant le temps d'écrire le 'Satiricon', roman accusateur des moeurs de l'époque. Pour cette oeuvre, Pétrone est même considéré par certains comme le premier romancier de l'histoire. Ecrivain novateur et précurseur, il constitue aujourd'hui un témoin privilégié de la Rome décadente du Ier siècle. [evene.fr]

    C'est donc le propre de l'homme de se plaindre "des temps modernes" et de regretter "le bon vieux temps" dont il idéalise le nostalgique souvenir.

    Il se trouve qu'hier j'ai décidé de prendre le temps de lire. J'ai même dit : "Je lirai le premier livre qui me tombera sous la main". C'était un peu tricher. Vu qu'il y a un an je me suis mis de côté Amours paysannes d'Adeline Geaudrolet en me promettant de le lire dès que j'aurais un peu de temps devant moi.

    Dès les premières lignes, je tombe en arrêt devant le style enlevé de cette dame de 70 ans qui se souvient... non pas du bon vieux temps, mais de sa vie de travail et de déboires. Une voix déviante qui nomme le refoulé et le meurtri.

     

    Tous les chapitres s'ouvrent sur des citations.

      !Amours paysannes

    "Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles,  plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.' [Marcel Proust]

     

    "Il n'est pire misère qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur." [Dante]

     

    "Maman disait souvent qu'on n'est jamais tout à fait malheureux." [Albert Camus]

     

    Ce n'est ici qu'une faible représentation de toutes les riches citations (et chansons) qui émaillent les chapitres. Quant au style d'Adeline ! il faudrait recopier de bout en bout ce diable de livre. Comme il faut bien faire un choix...

     

    "Il est un pays où des rivières charrient dans leurs sables de l'or, des pierres, des souvenirs... des grenats aussi. Il est un pays où le lait coule à flots, où le beurre s'amoncelle, vivante synthèse de l'eau, de l'herbe, de l'air et du vent, des animaux et de l'industrie des hommes.
    De grandes dames veillent sur lui, vigiles millénaires : Mélusine, la fée bâtisseuse, et la Dame de Chambrille, pétrifiée dans sa chair.
    Au pays de Galerne, les mouvements sont lents, la parole profondément enfouie.
    C'est là que, bercée par les vents et la vie, par le bruissement des feuillages, une femme attend...
    Elle attend que tourne le vent. Le vent de galerne, ce "chétif vent qui corne trois jours durant". Ce "mauvais vent qui souffle trois jours consécutifs" et qui amène l'eau, utile souvent, dévastatrice parfois.
    Une vie de galerne, c'est une vie à attendre que le temps change, que le temps revienne au beau, pour une femme, pour cette femme, Adeline. Pour toutes les femmes. Galerne, galère, la vie... "

     

    Mais l'extrait qui me frappe le plus au milieu de ce déluge de proverbes, de truismes, de sujets du bac et d'opinions publiques ! c'est très certainement celui-ci (sans perdre de vue que je n'ai fait que feuilleter...).

    "Quand tu moissonneras ton champ, et que tu auras oublié une gerbe dans le champ, tu ne retourneras point la prendre ; elle sera pour l'étranger, pour l'orphelin et pour la veuve, afin que l'Eternel, ton Dieu, te bénisse dans tout le travail de tes mains. Quand tu secoueras tes oliviers, tu ne cueilleras point ensuite les fruits restés aux branches : ils seront pour l'étranger, pour l'orphelin et pour la veuve. Quand tu vendangeras ta vigne, tu ne cueilleras point ensuite les grappes qui y seront restées : elles seront pour l'étranger, pour l'orphelin et pour la veuve. Tu te souviendras que tu as été esclave..." [La Bible, Deutéronome, XXIV.]

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