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    Le Nouveau Livre m'habite depuis des mois. Il n'y a pas de place pour d'autre inspiration. Je veux dire, un sujet plus moderne ne m'inspire pas. Tout commence il y a quelques mois quand après avoir lu mon livre une lectrice me dit : "Ça ne peut pas finir comme ça, tu dois à ton personnage d'écrire la suite". Sur le moment j'ai souri. J'ai répondu qu'il n'y avait pas de suite possible. Et pour cause. Mon récit, j'ai commencé de l'écrire en 1995. J'ai mis plus de dix ans à le finaliser parce qu'il n'existe pas beaucoup de documents sur les mines de Laurion, que ce soit dans les livres ou sur Internet. Cette carence en documentation, j'ai dû la compenser par de gros efforts de déduction et d'imagination. J'ai essayé de "me souvenir" comment c'était, dans la mine, à cette époque, quand j'étais un esclave et que ma vie c'était ma lampe et trois outils.

     Alors, recommencer tout ce travail... Régresser, de nouveau, jusqu'en Grèce antique, à l'époque où la toute-puissante Athènes, pour avoir son compte d'argent, faisait vivre et travailler dans les mines du Laurion des centaines de milliers d'esclaves réduits à l'état de bêtes sauvages. Je me suis dit : "C'est au-dessus de mes forces".
    Je ne pense plus comme ça. Je ne peux plus vivre comme ça, dans la peau de l'un deux, au risque, encore une fois, de tomber gravement malade. Je ne sais même plus parler comme ça, cette langue poétique, un rien pesante, que certains ont pu trouver pathétique, parce qu'elle trahit sans pudeur, à tout instant, dans chaque syllabe, une énorme charge d'émotion passionnelle.
    Bon. J'ai dit non. J'ai dit : "Je ne m'en sens plus capable et toute suite à ce récit serait du toc."
    Mais. C'était sans compter que mon personnage Sans-Nom, tout poussière qu'il est depuis plus de deux mille ans, ne me lâche pas d'une semelle dans ma vie de tous les jours, et que je lui dois ce blog et d'avoir la gorge serrée dès que je vois une montagne, une colline, un tertre. J'y peux rien, c'est comme ça.
    Entre temps j'ai vieilli, j'ai pris du plomb dans l'aile, et je mesure pleinement l'étendue de la tâche. Il ne s'agit pas de me jeter tête baissée dans une écriture inarticulée qui s'apparenterait à l'écho de son cri deux fois millénaire.
    Je voudrais bien conduire l'attelage pour une fois. Je voudrais bien, cette fois, ne pas me laisser embarquer sans défense dans la conception d'un bouquin qui me prendra mes jours, mes nuits, ma santé, ma vie. Je ne voudrais pas souscrire au rythme forcené des mines de plomb argentifère et des pillages et massacres dans la campagne athénienne...


    Et c'est là, c'est là, qu'arrivent les images, et bien malgré moi. Bien avant les mots viennent les sensations, les images, les flashes qui me forcent à fermer les yeux pour regarder en moi-même, s'exhumer de la nuit, comme une ombre puissante, mon irréductible Sans-Nom.



    Est-ce lui, en est-ce un autre... Il y a tant de poussière encore autour de lui. Tant d'obscurité. Tant de silence. Les mots ne se sont pas encore mis en place. On croirait au calme qui précède la tempête.
    Ainsi, depuis quelques mois, je porte en moi ce Nouveau Livre qui ne veut pas s'écrire aussi vite que je le souhaiterais. Parce qu'il est temps, moi je vous le dis, que ça m'arrive enfin.
    Pouvoir écrire la suite des "Fragments d'une vie brisée".
    PS : Quelques lignes ont été écrites, des blocs-textes dont je ne sais pas s'il sera possible de les intégrer dans le corps du second récit. En voici un extrait...

     

    - N'as-tu pas compris que l'odeur du soufre, cette odeur d’œuf pourri qui me soulève le cœur, je ne la sentirai plus qu'une fois vengées par le sang nos souffrances et nos humiliations ? A quoi servirait d'être libre, sinon !?
    - A vivre ta vie. Quoi d'autre.
    - Ma vie, répartit Ektos en ricanant, dans la peau d'un esclave qu'Athènes condamna sans appel aux mines du Laurion ? J'aimerais mille fois mieux être comme toi. Je voudrais tant, dit-il en prenant son casque au Spartiate étendu mort à ses pieds, être l'un des tiens.
    Et coiffant le casque, qui lui barrait le regard d'une ombre de fer, il dit encore à voix basse, avec l'accent du désespoir et de la passion.
    - Que faut-il que je fasse, dis-moi, pour gagner le droit de me battre à tes côtés contre ceux qui m'ont trahi.




    © Thaddée Sylvant
    - Extrait. - Première version des « Fragments II »

     

     

    Note du 26 septembre 2010

    Je n'ai, pour l'instant, pas donné suite à ce projet.


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  • Merci, Tibicine, de m'avoir écrit une critique détaillée de mon récit "Fragments d'une vie brisée". Critique qui me donne l'occasion de revenir sur la naissance du livre, il y a bien longtemps, en 1995. Il est né, je l'ai souvent répété sur mes blogs successifs, de quatre ou cinq lignes lues dans Les Guides Bleus de Grèce. J'y découvris l'existence et les conditions de vie des mineurs du Laurion. Ces quelques lignes s'imprégnèrent en moi si fort que je me sentis dans l'obligation d'écrire sur le sujet.

    Je ne reviendrai pas sur le travail de recherches effectuées des années durant dans les livres, ensuite sur Internet. Par contre, je souhaiterais revenir sur la toute première version des "Fragments". A cette époque déjà, je voulais être à l'intérieur de mon personnage. Je voulais être lui. Ce n'était plus un personnage de roman. C'était moi.

    Mais encore, il me fallait traduire au coup par coup ses sensations, ses sentiments, ses pensées, tandis qu'il entrait dans sa nouvelle vie de mineur du Laurion. Et là, problème. Est-ce qu'on pense avec des mots ? Est-ce qu'on sent avec des mots ? ... Est-ce qu'on souffre, avec des mots.

    La première version du récit ne fut qu'un cri articulé. Et un cri articulé n'est pas littéraire.
    Alors je réécrivis le livre, une fois, deux fois, maintes fois je le repris jusqu'à sa version finale et définitive.

    On pourra, effectivement, s'étonner de ce parti pris. N'eût-il pas été plus simple de traiter cette histoire à la manière d'un roman traditionnel, avec des personnages, un suspense, une véritable histoire, quoi. Pourquoi m'embêter à vivre dans sa tête et dans sa peau comme dans une prison irrespirable ? Pourquoi est-ce que je me laisse faire ? Pourquoi est-ce que je ne me révolte pas ? Pourquoi est-ce que je ne me lie pas avec des camarades ? Pourquoi, pourquoi... Pourquoi.

    Je suis seul et désespéré. Tout en moi gémit. Je suis : sans secours, dans une situation : sans issue. Tous les jours sont les mêmes. Hier, demain, n'existent pas. Les autres existent-ils ? Je suis la masse informe et condamnée de vingt mille esclaves qui triment et qui meurent sans savoir qui ils sont.

    Je m'appelle Sans-Nom.

    Je ne peux pas m'en sortir, à moins de mourir. J'ai très peur d'aimer, je ne veux pas souffrir plus que je ne souffre déjà. Je ne connais que la souffrance, la fatigue, la solitude, la désespérance, et la colère. Toutes mes forces, je les concentre aux seules fins de survivre et de retrouver ma vie d'avant.

    Aujourd'hui, si je devais écrire les "Fragments", je ne les écrirais pas comme ils furent écrits. Ça me serait impossible de refaire ce chemin dans la peau de mon esclave. Il me faudrait sans doute instaurer une distance entre lui et moi. Mais alors... ce livre n'existerait pas. J'affirme qu'il ne pouvait être écrit qu'ainsi, à la première personne du singulier, dans le dénuement presque irréel de l'épreuve physique et morale. Ne pouvait être, non pas qu'un monologue, même si j'ai dû avoir recours à des mots pour lui donner vie, mais ne pouvait être qu'un témoignage, autant que j'ai pu témoigner en son nom de ce qu'il a enduré. Je ne fus que l'instrument dont il se servit pour raconter son calvaire. Son coeur, son regard, sa voix, c'était moi. Ou plutôt... mon coeur, mon regard, ma voix, dans ces moments-là, c'était lui. Il me parlait voyez-vous. Il m'habitait. Il m'habite encore, à croire que son histoire n'est pas terminée, qu'il a besoin de moi pour rapporter la suite.

    Une de mes lectrices m'a dit :" tu lui dois d'écrire la suite".

    Mais tant d'années sont passées depuis son premier cri, qu'il me semble aujourd'hui ne plus pouvoir écrire.


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  • Mon livre est entre les mains d'un guide népalais qui s'appelle Ganesh.

    Mon livre étant entre les mains d'un guide à Delhi (grâce à Pandora) j'ai eu envie de partir sur ses traces... tout au moins virtuellement. Par la grâce du Net j'ai pu trouver quelques belles images qui pourront illustrer son parcours si loin de moi. C'est formidable de le savoir en Inde où je n'ai jamais mis les pieds. Comment aurais-je pu imaginer, en commençant à l'écrire en 1995, qu'un jour une blogueuse non seulement me l'achèterait, mais encore l'emporterait avec elle dans ses bagages et le laisserait en Inde pour se décharger un peu...

    Voilà comment il voyage, le livre de ma vie, et j'ai comme l'impression que ce n'est pas fini. Un jour je vous raconterai toutes les anecdotes qui ont secoué son parcours, de ses réécritures à l'auto-édition que je ne conçois pas comme un aboutissement, mais comme une étape nécessaire avant de tenter l'édition, la vraie.


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