• Sur le fil de la vie

    Vendredi 20 septembre 2013 - Mal aux reins c'est affreux. Je finis de lire Pétain mon prisonnier, titre sous lequel Pierre Bourget a rassemblé les notes écrites de son geôlier Joseph Simon. Cinq ans de captivité pour un vieillard qui divague en fin de vie. Qui était le prisonnier de qui ? - Ma préférence - qui s'affirme au fur et à mesure que je prends de l'âge - va spontanément vers ce genre de récits qui n'ont pour fil que la trame un peu décousue de la vie, fragments de vie rapportés dans des carnets, des cahiers, sur des feuilles volantes. Pas trop les biographies, les autobiographies, trop construites à mon goût, trop bien réfléchies, qui souffrent d'un recul trop important. Mais de ces journaux intimes immergés dans le vif, nés presque par hasard d'un besoin viscéral d'écrire au jour le jour et d'un désir irrationnel d'archiver, dans l'idée que ce dont on a laissé la trace consiste en un témoignage incontournable sur l'Histoire, sur son histoire, sur l'histoire d'un amour trahi. On se souviendra de mon émotion, de mon enthousiasme à l'endroit du récit de Françoise Massin, Elle ... lui ... du virtuel au réel ... une passion avortée. Ici, on est dans le vif, on est dans le vrai, et c'est, je crois, tout ce qui compte. N''est-ce pas ce que je visais dans le ton ânnonant de mes Fragments.

    Dans l'après-midi je ne tiens plus en place (symptôme classique de l'hyperthyroïdie). Malgré la douleur et la fatigue je débarrasse mon coin bureau de tout ce qui l'encombre et gêne le passage. J'y passe une heure ou deux, époussetant, ramassant des pelles de moutons. Je range.

    Après coup, baisse de moral. Nous aurions pu faire tant de choses ensemble. Oh des choses simples égard à ta maladie. Dînettes improvisées sur le tas, peut-être assis par terre autour d'un thé servi sur un carton recouvert d'un napperon. Tu me manques. Existe-t-il, au monde, un homme insolite comme toi ? - Je me mettrais bien en chasse d'un compagnon qui accepterait de partager de bons moments avec moi, des moments forts, rien que des moments. Même pas pour coucher. Je ne couche plus depuis qu'on s'est quitté. Je n'ai toujours pas trouvé la force de te tromper.

    J'allais oublier : la froideur et l'indifférence de mon entourage me font penser qu'on ne sait pas bien ce que c'est d'être malade de la thyroïde. Etre malade de la thyroïde s'apparente, à quelque chose près, à de la régression. Je ne vis qu'en fouillant mes souvenirs comme si je fouillais avec l'avidité d'un voleur les affaires personnelles de quelqu'un d'autre. J'ai lu un livre hérité de mon père. J'ai relu des cartes postales écrites en 82 à ma grand-mère. J'ai recherché des bagues ayant appartenu à mes grands-parents. Je vis avec les morts, avec les miens. J'embrasse la photo de ma première minette, de mon petit perroquet. Je caresse avec impuissance la photo que j'ai prise de toi sous le mur écroulé du fort de Loyasse. J'aimais avec tendresse, à l'infini, la minceur affaissée de ton visage. Pourquoi m'as-tu menti ? - Tu le savais bien, au fond de toi, qu'il te restait peu de temps à vivre.

    Le soir, j'entame la lecture du récit d'Alexandra Lange, Acquittée, Je l'ai tué pour ne pas mourir. Fringale insatiable de lectures tous azimuts. J'ai retrouvé dans la journée la moitié d'une feuille volante sur laquelle j'avais tracé l'esquisse d'un poème :

    Vos religions d'argile / A genoux sur des os / Ne sont pas plus fragiles / Qu'un partage des eaux.

    (non daté)

    Religion toujours. Avec le sentiment profond que ce sujet-là, particulier, devrait rester privé pour ne point faire de vagues et de blessés. J'aurais aimé ne pas savoir que mon frère, ma mère, ma soeur et ma petite soeur ... Et maintenant la religion nous sépare. Je sens comme une distension ... Mais faut-il revenir là-dessus. Là, ne sont que souffrance et résignation. Tout ça pour dire, les religions préhistoriques valaient bien la catholique. Et quoi qu'on en dise, elles participent encore aujourd'hui aux sacrifices humains.

    Et puis dans un tout autre ordre d'idée, je remarque avec la plus grande impatience les tics et clichés des médias qui non contents de nous bassiner avec des émissions culinaires manquent singulièrement d'imagination et de créativité pour nous faire la pub de tout ce qu'ils vendent.

    Ainsi, les films les plus en vue sont tous "tendres, drôles et émouvants". Les animations, les festivals, sont des moments "festifs". Y'a pas mal de choses qui sont en marche aussi : "un concours extraordinaire est en marche", "une révolution est en marche". Et le top du top c'est la goût "généreux" des pâtisseries, sans compter l'inénarrable "onctueux en bouche", "frais en bouche" : diantre, dans quelle autre partie du corps voudrait-on donc que ce le soit .

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  • Commentaires

    1
    Samedi 21 Septembre 2013 à 11:43
    flipperine

    la vie un dur combat à mener

    2
    Samedi 21 Septembre 2013 à 15:34
    Moun

    Bonjour Thaddée,

    Je ne connaissais pas les symptômes de l'hyperthyroïdie... Cela ne doit pas être facile tous les jours surtout avec de lancinantes douleurs.

    J'aime ces fragments de temps vécu hier, aujourd'hui sans projection de demain que l'on sait incertain mais dont on rêve en secret.

     

    Prends bien soin de toi

    A bientôt

    Je t'embrasse

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    3
    Samedi 21 Septembre 2013 à 21:08
    lemenuisiart

    Tout un programme , mais si on ce connait on vit beaucoup mieux

    A bientôt

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