Depuis qu’elle est au ciel des
mouches la mouche passe beaucoup de temps dans son atelier de peinturlure. Au tout début elle barbouille surtout les souvenirs de sa vie sur terre mais ça la fait trop souffrir de revoir des
morceaux de sucre et des toiles d’araignée. Heureusement l’ouverture des frontières et l’arrivée des premiers étrangers lui donnent l’occasion de renouveler son art en peignant des éléphants
roses et des souris vertes. Mais sa première expo s’avère être un échec complet. Les mouches voient déjà d’un mauvais œil que des gens de couleur envahissent leur ciel des mouches alors les
retrouver sur la toile ! … c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
En désespoir de cause la mouche placarde sur la porte de son atelier de peinturlure une annonce rédigée en ces termes : cherche modèle du pays.
Le jour même ! déboulent des dizaines de mouches battant des cils et toilettées jusqu’au bout des pattes (qu’elles ont épilées). Quelle déception pour la mouche ! Elle qui ne rêve que de terroir et d’authenticité ne trouve à se frotter qu’à du factice et de l’artificiel du superficiel.
Alors elle met la clé sous la porte de son atelier de peinturlure et part se balader à travers le ciel des mouches. Elle croise ses anciens sujets d’inspiration, des éléphants roses et des souris vertes. Elle rencontre aussi beaucoup de ses congénères qui tordent le nez depuis qu’elle a refusé de les peindre. Elle se sent pour le coup bien seule, la mouche. Lorsque, tout à coup ! ses quelques millilitres de sang noir ne font qu’un tour.
- Ma beauté ! s’écrie-t-elle en se précipitant, mon trésor adoré ! Je t’offrirai des perles de rosée ! Comment t’appelles-tu cher ange de mon cœur ?
Et l’autre mouche, une adorable mouche mordorée comme un scarabée, se plie bien volontiers aux formalités d’usage et décline son identité :
- On m’appelle : cette saleté de négresse verte de cantharide camée jusqu’aux yeux.
- C’est un nom vachement long pour une mouche, fait observer la mouche. Je t’appellerai Cantha. Mais de quel sexe es-tu ma Cantha d'amour ?
- Bonne question, répond cette saleté de négresse verte de cantharide camée jusqu’aux yeux. Je n’en sais rien.
- Moi non plus avoue la mouche en réfléchissant. Pourtant je t’aime je le sens bien.
- Ca veut dire qu'on est des tapettes ? s’inquiète cette saleté de négresse verte de cantharide camée jusqu’aux yeux.
Et la mouche de répondre : « Moi je ne connais qu’une seule espèce de tapette. C’est cet engin de mort qui servait à nous écrabouiller quand on était sur terre ».
« Alors tout va bien ! » s’exclame joyeusement cette saleté de négresse verte de cantharide camée jusqu’aux yeux et toutes les deux s’envolent au-dessus des éléphants roses et des souris vertes à travers le ciel des mouches où de gros cœurs rouges éclatent comme des bulles de savon.