• Amor, 1ère partie Chap. III

    Chapitre III

     

      C'est un morceau de ciel, putain, Pierre !

     

     

     

    Plusieurs jours se passèrent sans que réapparût Pierre. Et dans la solitude où j’étais, même si j’appelais son retour de tous mes vœux il ne me tardait pas d’être de nouveau face à lui. Il me faisait trop de mal.

     

    Le temps que dura la séparation je m’efforçai tant que je pus de m’acclimater à mon improbable mode de vie. Pas facile quand on manque de tout, quand on est absent à soi-même. Bien sûr il aurait fallu que j’écrive, cela m’aurait au moins distrait de ma mélancolie, mais pour être l’instrument de cette impossible Force Créatrice qui vous passe à travers le corps il faut être disponible et je ne l’étais pas. Vide oui je l’étais. Vide et sans forces. Mais certainement pas disposé à rédiger mes mémoires ou ne serait-ce qu’une lettre à mes chers disparus. Si tant est qu’ils aient bien disparu. Que je sois le seul rescapé de quelque apocalypse dont je ne gardais, malheureusement pour moi, aucun souvenir. J’aurais pu reconstruire ma vie sur des ruines. Mais par-dessus le trou béant de l’oubli, je ne le pouvais pas.

     

    Souvent je me tenais étendu par terre sur le dos, fermant les yeux pour conserver intacts en moi le cadre écaillé de ma vitre et son contenu de clarté bleue. Cette image se gravait au fer rouge sous mes paupières brûlantes puis, se ridant comme la surface d’un étang, se ternissant comme un mirage, elle laissait place au contour flottant d’une espèce de flaque incolore mais c’était elle encore, ma fenêtre bleue aux mille visages, ma toile de maître aux couleurs changeantes et le miroir d’obsidienne qui me permettait d’entrer en contact avec les morts.

     

    A défaut des vivants, il me restait donc les morts.

     

    Je n’avais jamais autant salué mon père, mes sœurs et mes grands-parents qu’en ces jours d’insondable tristesse où j’allais, malgré moi, vers le recueillement. Point de tombe ni de cimetière. Point de fleurs, ni de croix. Mais ce lac miniature aux bords tremblants, collé sous mes paupières, où passaient inlassablement les visages familiers.

     

    J’apprenais à me calmer.

     

    C’est à cette époque-là d’abandon physique et mental aux visions d’outre-tombe que se manifesta Pierre. Il portait toujours sa robe de bure et sa croix de fer enroulée dans une corde autour du cou. Ses yeux, plus que jamais, se chargeaient de lumière et d’amour au jour de son retour. Il était pâle et beau comme un pâtre qui aurait traversé pieds nus le désert insensé pour recueillir en son sein la brebis égarée. Je fis mine de me lever à son approche. Il me fit signe de rester à terre et s’assit près de moi. Une odeur de fibre naturelle, chaude et sèche, émanant de son habit, m’agaça les narines. Il était tout entier cette corde, cette bure, qui me bouchaient les pores et me sortaient par les yeux.

     

    Moi, j’étais nu.

     

     

    [A suivre]

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 31 Octobre 2010 à 17:38
    Amaury

    Et bien voilà, c'est reparti, diantre que ça fait plaisir et puis que c'est captivant à lire, ce n'est pas une lecture à mettre entre toutes mains certes mais moi ça me convient très bien. Merci d'avoir remis ton roman en ligne.

    2
    Dimanche 31 Octobre 2010 à 18:12
    Mosca

    Merci d'avoir insisté pour que je reprenne sa publication.

    Bonne soirée Amaury... ne mange pas trop de citrouille !

    3
    Mardi 2 Novembre 2010 à 23:49
    Anne-Marie Lejeune

    AHHHHHH ! Merci !

    Plutôt que de commenter, je vais reprendre ce qui m'a touchée plus particulièrement dans cet épisode admirablement écrit, comme les autres :

    * « …Le temps que dura la séparation je m’efforçai tant que je pus de m’acclimater à mon improbable mode de vie. Pas facile quand on manque de tout, quand on est absent à soi-même… » Pour ma part, je pense qu’il est encore plus difficile d’être absent à soi-même que de manquer de tout.

     

    * « Bien sûr il aurait fallu que j’écrive…..mais pour être l’instrument de cette impossible Force Créatrice qui vous passe à travers le corps, il faut être disponible… » Comment ne pas être d’accord ?

     

    J’aime aussi beaucoup ce passage sur le cheminement immobile et quasiment obligatoire vers le calme et le recueillement, qu’impose à l’Arpenteur sa réclusion

    Bizzz douces

    Je vais continuer à lire tes publications…)

    4
    Mercredi 3 Novembre 2010 à 15:39
    Mosca

    Tu me fais plaisir Mistic, ce que tu écris là m'apporte beaucoup. Bzzbzz.

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