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    1ère Partie

     

     

    Chapitre  I

    Tu ne peux aller nulle part avec moi

     

     

     

               Depuis longtemps je suis tenté de raconter mon histoire. Où j’habite et ce que je fabrique de mon temps.

     

               J’occupe trois mètres carrés de mansarde. Seule m’éclaire une fenêtre de toit, par où je n'enfile guère que le bras pour avoir l’impression d’attraper l’étoile du matin quand je ne dors pas. Je passe le plus clair de mes jours et de mes nuits couché par terre à contempler ma surface habitable de ciel bleu.

     

    A la date de mon installation, c’était un trente août je m’en souviens comme si c’était hier, le Gardien des Clés (tel qu'il s'intitulait avec satisfaction) m’accueillit en me montrant la petite ouverture ingrate au-dessus de ma tête : « Là-haut, c’est chez toi. Tu peux t’en servir comme tu veux. Ça n’a l’air de rien à première vue mais c’est un espace extensible à l’infini. Teste-le tu verras. »

     

    Je suis terrien moi. Je ne résiste pas au besoin pressant de prendre et de m’approprier. Qu’est-ce que je pouvais bien faire d’un carreau pollué par les pluies carboniques ? Il devait être autour de dix-neuf heures, on n’y voyait déjà plus guère et je me représentais l’avenir tassé sous cette trappe où je ne pouvais même pas passer la tête.

     

    Et cependant qu’en mon for intérieur je me désespérais de la situation telle qu’il me la présentait il renchérit, à croire qu’il savait aussi lire dans les pensées : « Mais si tu préfères te contenter de la pauvreté misérable à laquelle te voici condamné, et vivre nu, sans aucun effet personnel et sans aucun bien matériel, dans ce grenier ridicule et minuscule, entre tes quatre murs de pierre et sur le plancher qui grince, libre à toi. Comprends que je t’offre la voie du salut, mais que rien ne t’oblige à la suivre ».

     

    - Vous m’offrez. Je n’ai rien demandé.

     

    - C’est façon de parler.

     

    "Je n'aime pas, répondis-je sans aménité, votre façon de parler."

     

     

    [A suivre]


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  • Ces deux courts extraits de L'Homme et lui-même initieront ma toute nouvelle Rubrique Au coin du feu consacrée à mes lectures. Chaque fois que je lis un livre je relève, dans un carnet, les passages qui me marquent le plus. Ainsi cohabitent dans ce carnet des auteurs aussi différents que Victor Hugo (Vous m'offrez la cité... je préfère les bois, car je trouve, voyant les hommes que vous êtes, plus de coeur aux rochers, moins de bêtise aux bêtes) et Eric Holder dans Hongroise (... Les étoiles au ciel, attisées par le gel...). Eric Holder encore (Seriez-vous écrivain pour vous tout seul dans le grenier, viendra fatalement le jour où l'on vous sommera de répondre) et Martin Page dans La Libellule de ses huit ans (Il y a dans l'adoration un cannibalisme sublimé).

     

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    La personnalité d'Andrews était faite

    de rêveries superficielles, de sentimentalité,

    de lâcheté, et sous tout cela il sentait la

    présence constante d'un critique

    questionneur et troublant.

    L'Homme et lui-même [Graham Greene]

    Librairie Plon, 1954

     

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    - Dites-moi pourquoi vous avez livré ces hommes ?

     - Vous ne comprendriez pas, fit-il avec conviction. C'est jalousie d'un mort, et parce qu'ils me méprisaient, eux.

    - Cela n'a pas l'air d'avoir le moindre sens, dit-elle, mais je suppose que cela vous a rapporté quelque chose ? ...

    - La peur.

    L'Homme et lui-même [Graham Greene]

    Librairirie Plon, 1954 

     

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    Note - C'est à l'âge de vingt-cinq ans que Graham Greene écrit L'Homme et lui-même (titre original : The man within). C'est son premier roman, qui révèle son nom en France grâce à la traduction française publiée dans la collection Feux Croisés en 1931. On y trouve le thème de "l'homme traqué" auquel l'auteur de La Puissance et la Gloire et du Troisième Homme donnera, dans ses romans de la maturité, les prolongements d'une véritable "chasse spirituelle".


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  • Textuel Igor Mitoraj


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