• Vendredi 3 décembre au matin

    Quand un être cher est gravement malade, on ne peut faire autrement que passer sous silence ses propres soucis de santé, ses tracas quotidiens, sa fatigue, son mal être. On ne les identifie même plus. On est à l'écoute. L'aidant se tait. L'aidant se nie.

    Je n'étais pas vraiment aidant. J'écoutais à distance. Je renforçais l'espoir quand il y en avait un peu. Je faisais un peu d'humour quand je pouvais. J'essayais de ne pas montrer mon inquiétude et mon désarroi. Je ne parlais plus de moi. J'avais appris, au fil des semaines, à ne plus parler de moi.

    J'écoutais.

    Sa maladie, la douleur, les examens, les diagnostics (contradictoires), les traitements, les appareillages, les plans d'aide, l'espoir.

    On lui avait donné de l'espoir. Quelques jours avant la fin de sa vie.

    Je suis en deuil d'un ami, d'un amour, d'un avenir avec lui. Je n'ai plus rien à écouter, plus rien à espérer : il est mort. Le sentiment de culpabilité, le sentiment de solitude, les sentiments contradictoires, la peur de sombrer, ont pris toute la place.

    La mémoire me trahit. Déjà. J'ai du mal à me rappeler à quelle heure de la journée nous nous sommes parlé pour la dernière fois. C'était le mercredi 24 novembre. Il me semble que c'était le soir. J'avais réussi à le faire rire. Mais depuis quelques jours je ne reconnaissais plus sa voix. Parfois, je n'arrivais plus à comprendre ce qu'il me disait. La morphine. Les rayons. Peut-être tout simplement la fin de vie.

    Ça lui changeait complètement sa voix.

    J'avais un message de lui sur mon répondeur. Jusqu'au samedi 27 novembre, jour de sa mort, sa voix était enregistrée sur mon répondeur. Sa belle voix d'avant sa fin de vie.

    Un nouveau message, de quelqu'un d'autre, a effacé le sien. J'ai perdu sa voix.

    Le silence. La neige. Le cimetière glacé, là-bas. Mon ami dans la terre. Son corps maigre, raide et froid.

    Il disait en riant : "Bon j'ai un cancer, et alors ? je ne vais pas en faire une maladie ! ".


    3 commentaires
  • Jeudi 2 décembre au soir

    Là, c'est le gouffre. Des tas de questions se posent. Les souvenirs reviennent. D'autres pas. C'est le trou. Quand est-ce que. Est-ce que j'ai dit, je n'ai pas dit... Toutes ces choses qu'on avait en tête de faire quand on était ensemble. Toutes ces choses dont on aurait pu parler, qu'on aurait pu refaire, ce bout de chemin qu'il nous restait à faire côte à côte, avec l'espoir que tu t'en sortirais, l'espoir qu'il te resterait plus de temps que prévu, toutes ces choses que ta mort nous a prises.

    Tu auras passé ton temps à me quitter.

    Je ne suis pas en colère. Au contraire ça me rapproche de toi. Ça me rappelle que tu étais libre et que tu n'en faisais qu'à ta tête. Même la mort, tu en riais.

    Même la mort.

    Elle ne te faisait plus rire ces derniers jours. Tu devais sentir son approche, son emprise, sa menace, sa promesse, et sa détermination plus forte que la tienne.

    La dame en noir t'a enlevé mon ami. La Grande Dame en noir qu'on est tous appelé à rencontrer et à suivre. Est-ce qu'elle t'a effrayé, le moment venu ? Est-ce que tu l'appelais de toutes tes forces, pour ne plus souffrir ?

    Tu aimais tellement la vie. Je voudrais bien prendre la relève mais... Pour l'instant je ne pense qu'à ta mort, je n'entends que le silence, je ne reconnais que le vide. Il va me falloir prendre le temps, le temps de m'habituer à ne plus jamais t'entendre, à ne plus jamais te voir. C'est difficile ! - Aide-moi.


    3 commentaires
  • Merci Anne-Marie, Chris, Lyonnel, pour vous témoignages de sympathie.

    Depuis hier soir j'écris pour essayer de remettre de l'ordre dans mes pensées et dans mes sentiments. Je publierai les textes dans une nouvelle Rubrique intitulée : Vivre après Lui.

     

     

     Je ne contrôle plus mes pensées ni mes souvenirs. Ce sont eux qui m'assaillent de tout côté, qui me traversent et m'abandonnent aussitôt qu'ils sont passés. Parmi tous ces souvenirs, m'est revenue comme un trait fulgurant cette phrase d'un poème, Empathie, écrit en 2007 : Pour un homme qui meurt c'est un enfant qui vient au monde. A quelques jours de Noël et de la naissance de l'enfant le plus connu au monde est mort un anonyme qui ne l'était pas pour moi.

    Je partage avec vous, encore une fois, ce poème en vous adressant mes pensées les plus douces.

     

    Vivez en paix avec vous-mêmes. La vie est un cadeau.

     

     

    *****

     

    Car j’entends ce qui ne s’entend pas. Vies et morts qui se bousculent de l’orgasme à l’agonie. Bain de sang des naissances aux souffrances hébétées du trépas.

     

    Clartés du crépuscule baignant de sueurs froides le masque fiévreux des victimes j’écoute j’entends et je vois.

     

    La strangulation de nos villes, haleter le plaisir et l’effroi, pleurer sur les cendres des urnes, finir par trouver refuge dans un sursaut de foi.

     

    J’entends ce qui ne s’entend pas. Les soupirs du silence annoncer que la mort siège à chaque seconde et que pour un homme qui meurt c’est un enfant qui vient au monde.

     

    J’entends ce qui ne s’entend pas. Souffler Dieu sur un feu qu’il éteint qu’il attise, qui nous tue nous suscite. Ce que je ne sais pas.

     

     

    *****


    3 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique