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La Lune. Elle est tellement sévère en regardant la Terre. Elle juge. Moi, dit-elle, je brille au naturel. C'est Noël sans lumière, je sais faire dans le noir, moi j'en fais mon affaire, et ça ne coûte rien. La Terre. Elle est tellement revêche en admirant la Lune. Elle se rappelle et regrette. Les temps immémoriaux Elle rêve. Du temps où j'étais vierge et comme toi la Lune alors c'est pas la peine de prendre tes grands airs fiers et de mettre ta clarté naturelle à la Une. Parce que l'Homme, ma vieille, il aura tôt fait de t'enguirlander pour Noël avec les sapins morts et les centrales nucléaires. C'est comme ça, la Lune. On se réveille vierge et le jour même on lui sert de putain.
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Sensible à ma peine, causée par la mort de
mon chien,
Jean-François, auteur de photos et d'histoires
propres à faire rêver, m'a donné à lire
les premiers
vers de l'Ode au Chien et de l'Ode au Chat
de Pablo Neruda. Voici les deux poèmes dans
leur intégralité. Merci Jean-François.
Le chien me demande
mais je ne réponds pas.
Il saute, court dans le champ
et me pose mille questions sans parler
ses yeux
sont deux questions humides
deux flammes liquides qui interrogent
mais je ne réponds pas
parce que je ne sais pas
Homme et chien
parcourant la campagne
Les feuilles brillent comme si quelqu'un les avait
embrassées une par une
les oranges jaillissent du sol
pour faire des petites planètes dans les arbres
rondes comme la nuit,
et vertes
chien et homme
nous allons par les parfums du monde
foulant le trèfle
la campagne du Chili
dans les doigts clairs de septembre.
Le chien s’arrête,
poursuit les abeilles
saute un ruisseau turbulent
écoute des lointains aboiements
pisse sur une pierre
et vient me porter le bout de son museau
à moi, comme un cadeau.
Dans sa douce fraîcheur
en me communiquant sa tendresse
il me demande des yeux
pourquoi le jour, pourquoi la nuit
pourquoi le printemps ne porte rien dans son panier
pour les chiens errants
sinon des fleurs inutiles
des fleurs, des fleurs, toujours des fleurs.
Voila ce que me demande le chien
voilà ce que je ne réponds pas.
Nous allons, homme et chien
dans cet immense matin vert
réunis par le vide exaltant de la solitude
où seuls nous existons
l’unité parfaite,
chien rosée et poète
car il n’y a pas d’oiseau caché sans trille
ni de fleur secrète sans arôme
pour deux compagnons
nous
dans ce monde humidifié par la nuit
distillation verte
prairie balayée par des rafales d’air orangé
le chuchotement des racines
la vie en cheminant, en respirant,
et l’amitié ancestrale
la chance
d’être chien, d’être homme
converti en un seul animal
à six pattes
la queue couverte de roséeAu commencement
les animaux furent imparfaits
longs de queue,
et tristes de tête.
Peu à peu ils évoluèrent
se firent paysage
s’attribuèrent mille choses,
grains de beauté, grâce, vol...
Le chat
seul le chat
quand il apparut
était complet, orgueilleux.
parfaitement fini dès la naissance
marchant seul
et sachant ce qu'il voulait.
L’homme se rêve poisson ou oiseau
le serpent voudrait avoir des ailes
le chien est un lion sans orientation
l’ingénieur désire être poète
la mouche étudie pour devenir hirondelle
le poète médite comment imiter la mouche
mais le chat
lui
ne veut qu'être chat
tout chat est chat
de la moustache à la queue
du frémissement à la souris vivante
du fond de la nuit à ses yeux d’or.
Il n’y a pas d’unité
comme lui
ni lune ni fleur dans sa texture:
il est une chose en soi
comme le soleil ou la topaze
et la ligne élastique de son contour
ferme et subtil
est comme la ligne de proue d’un navire.
Ses yeux jaunes
laissent une fente
où jeter la monnaie de la nuit.
Ô petit empereur
sans univers
conquistador sans patrie
minuscule tigre de salon,
nuptial sultan du ciel
des tuiles érotiques
tu réclames le vent de l’amour
dans l’intempérie
quand tu passes
tu poses quatre pieds délicats
sur le sol
reniflant
te méfiant de tout ce qui est terrestre
car tout est immonde
pour le pied immaculé du chat.
Oh fauve altier de la maison,
arrogant vestige de la nuit
paresseux, gymnaste, étranger
chat
profondissime chat
police secrète de la maison
insigne d’un velours disparu
évidemment
il n’y a aucune énigme
en toi:
peut-être que tu n’es pas mystérieux du tout
qu'on te connaît bien
et que tu appartiens à la caste la moins mystérieuse
peut-être qu'on se croit
maîtres, propriétaires,
oncles de chats,
compagnons, collègues
disciples ou ami
de son chat.
Moi non.
Je ne souscris pas.
Je ne connais pas le chat.
Je sais tout de la vie et de son archipel
la mer et la ville incalculable
la botanique
la luxure des gynécées
le plus et le moins des mathématiques
le monde englouti des volcans
l’écorce irréelle du crocodile
la bonté ignorée du pompier
l’atavisme bleu du sacerdoce
mais je ne peux déchiffrer un chat.
Ma raison glisse sur son indifférence
ses yeux sont en chiffres d’or.
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Un matin, la vieille Mathilde se retrouve le derrière par terre en se levant de son lit. A la suite de quoi le docteur Lenoir qui est blanc comme un poireau n'aura de cesse de l'encourager à quitter sa maison, son village abandonné, pour aller vivre une retraite paisible dans une résidence pour personnes âgées. Pendant qu'il lui cherche une place dans les communes voisines, elle se sépare de son cheptel, poules, lapins, chèvres, et de son oie neurasthénique ; elle va se promener une dernière fois sur les terres qu'elle aimait ; range sa maison, prépare son petit baluchon. Le temps est venu pour elle de devenir rentière Au Doux Repos, et de se faire servir comme une princesse, elle qui a travaillé toute sa vie.
Une autre vie commence, dans cette chambre-dortoir dont la fenêtre ne s'ouvre plus, dans ce réfectoire où tous les rentiers s'insultent et se chipent les meilleurs morceaux, dans la salle de télévision "l'armoire aux barbus", dans la chapelle où le curé se plaît à parler de la pluie et du beau temps, dans le jardin rouge et vert aux bancs en plastique. Entre sa voisine de chambre aveugle qui ne veut pas qu'on éteigne la lumière et qui attend que vienne la chercher son fils, comme il le lui a promis ; Berthomieux qui perd l'appétit de retour d'une visite-expresse chez ses enfants ; Lulu, qui s'arrange pour toucher de l'argent de poche au décès des pensionnaires du Doux Repos ; la folle Mauricette, qui fait baptiser par le curé complaisant un bien curieux bébé. Tout ce petit monde emporté par le flux des évènements qui décoiffent, la guerre des corbeaux (des corbaques), l'anniversaire-surprise de la centenaire, et vive la mariée ! au bruit des marches militaires. Et la vie passe ainsi, ponctuée par les visites intéressées d'un certain qui convoite la maison de la Mathilde, par ses visites à elle chez cette fille de mauvaise vie et son petit keiser, et par les souvenirs de son mari et de son frère tués tous les deux pendant la guerre, avant l'âge de trente ans, par les Boches qui pissaient entre les maisons. Et puis, fatalement, le soir arrive... et c'est l'heure du tilleul du soir.
Un livre fourmillant de vie, qui réjouit par ses mots déformés (les ganguesters, le coqueci, le vétérinel), détournés (ses beaux estomacs : ses beaux seins) et son argot/patois plus qu'alerte (Nom de gueux ! une vieille en train de se recotillonner, le peilleraud, blagande, la sourdignole...). Tendre, triste, un livre sur la fin de vie en institution dans les années 70/80, au temps des deux-chevaux et de Tricots d'aujourd'hui.
"Avec le temps, tout se transforme, tout s'use : les corps, les ressorts, les querelles, les semelles, les lames, les âmes."
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