• La Lune. Elle est tellement sévère en regardant la Terre. Elle juge. Moi, dit-elle, je brille au naturel. C'est Noël sans lumière, je sais faire dans le noir, moi j'en fais mon affaire, et ça ne coûte rien. La Terre. Elle est tellement revêche en admirant la Lune. Elle se rappelle et regrette. Les temps immémoriaux Elle rêve. Du temps où j'étais vierge et comme toi la Lune alors c'est pas la peine de prendre tes grands airs fiers et de mettre ta clarté naturelle à la Une. Parce que l'Homme, ma vieille, il aura tôt fait de t'enguirlander pour Noël avec les sapins morts et les centrales nucléaires. C'est comme ça, la Lune. On se réveille vierge et le jour même on lui sert de putain.

     

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  • Sensible à ma peine, causée par la mort de

    mon chien,

    Jean-François, auteur de photos et d'histoires

    propres à faire rêver, m'a donné à lire

    les premiers

    vers de l'Ode au Chien et de l'Ode au Chat

    de Pablo Neruda. Voici les deux poèmes dans

    leur intégralité. Merci Jean-François.

     

    coloriage-chien-et-chat-23

    Le chien me demande
    mais je ne réponds pas.
    Il saute, court dans le champ
    et me pose mille questions sans parler
    ses yeux
    sont deux questions humides
    deux flammes liquides qui interrogent
    mais je ne réponds pas
    parce que je ne sais pas

    Homme et chien
    parcourant la campagne

    Les feuilles brillent comme si quelqu'un les avait
    embrassées une par une
    les oranges jaillissent du sol
    pour faire des petites planètes dans les arbres
    rondes comme la nuit,
    et vertes
    chien et homme
    nous allons par les parfums du monde
    foulant le trèfle
    la campagne du Chili
    dans les doigts clairs de septembre.

    Le chien s’arrête,
    poursuit les abeilles
    saute un ruisseau turbulent
    écoute des lointains aboiements
    pisse sur une pierre
    et vient me porter le bout de son museau
    à moi, comme un cadeau.
    Dans sa douce fraîcheur
    en me communiquant sa tendresse
    il me demande des yeux
    pourquoi le jour, pourquoi la nuit
    pourquoi le printemps ne porte rien dans son panier
    pour les chiens errants
    sinon des fleurs inutiles
    des fleurs, des fleurs, toujours des fleurs.
    Voila ce que me demande le chien
    voilà ce que je ne réponds pas.

    Nous allons, homme et chien
    dans cet immense matin vert
    réunis par le vide exaltant de la solitude
    où seuls nous existons
    l’unité parfaite,
    chien  rosée et  poète
    car il n’y a pas d’oiseau caché sans trille
    ni de fleur secrète sans arôme
    pour deux compagnons
    nous
    dans ce monde humidifié par la nuit
    distillation verte
    prairie balayée par des rafales d’air orangé
    le chuchotement des racines
    la vie en cheminant, en respirant,
    et l’amitié ancestrale
    la chance
    d’être chien, d’être homme
    converti en un seul animal
    à six pattes
    la queue couverte de rosée

    Au commencement
    les animaux furent imparfaits
    longs de queue,
    et tristes de tête.

    Peu à peu ils évoluèrent
    se firent paysage
    s’attribuèrent mille choses,
    grains de beauté, grâce, vol...
    Le chat
    seul le chat
    quand il apparut
    était complet, orgueilleux.
    parfaitement fini dès la naissance
    marchant seul
    et sachant ce qu'il voulait.

    L’homme se rêve poisson ou oiseau
    le serpent voudrait avoir des ailes
    le chien est un lion sans orientation
    l’ingénieur désire être poète
    la mouche étudie pour devenir hirondelle
    le poète médite comment imiter la mouche
    mais le chat
    lui
    ne veut qu'être chat
    tout chat est chat
    de la moustache à la queue
    du frémissement à la souris vivante
    du fond de la nuit à ses yeux d’or.

    Il n’y a pas d’unité
    comme lui
    ni lune ni fleur dans sa texture:
    il est une chose en soi
    comme le soleil ou la topaze
    et la ligne élastique de son contour
    ferme et subtil
    est comme la ligne de proue d’un navire.
    Ses yeux jaunes
    laissent une fente
    où jeter la monnaie de la nuit.

    Ô petit empereur
    sans univers
    conquistador sans patrie
    minuscule tigre de salon,
    nuptial sultan du ciel
    des tuiles érotiques
    tu réclames le vent de l’amour 
    dans l’intempérie
    quand tu passes
    tu poses quatre pieds délicats
    sur le sol
    reniflant
    te méfiant de tout ce qui est terrestre
    car tout est immonde
    pour le pied immaculé du chat.

    Oh fauve altier de la maison,
    arrogant vestige de la nuit
    paresseux, gymnaste, étranger
    chat
    profondissime chat
    police secrète de la maison
    insigne d’un velours disparu
    évidemment
    il n’y a aucune énigme
    en toi:
    peut-être que tu n’es pas mystérieux du tout
    qu'on te connaît bien
    et que tu appartiens à la caste la moins mystérieuse
    peut-être qu'on se croit
    maîtres, propriétaires,
    oncles de chats,
    compagnons, collègues
    disciples ou ami
    de son chat.

    Moi non.
    Je ne souscris pas.
    Je ne connais pas le chat.
    Je sais tout de la vie et de son archipel
    la mer et la ville incalculable
    la botanique
    la luxure des gynécées
    le plus et le moins des mathématiques
    le monde englouti des volcans
    l’écorce irréelle du crocodile
    la bonté ignorée du pompier
    l’atavisme bleu du sacerdoce
    mais je ne peux déchiffrer un chat.

    Ma raison glisse sur son indifférence
    ses yeux sont en chiffres d’or.

       

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  • Le tilleul du soirUn matin, la vieille Mathilde se retrouve le derrière par terre en se levant de son lit. A la suite de quoi le docteur Lenoir qui est blanc comme un poireau n'aura de cesse de l'encourager à quitter sa maison, son village abandonné, pour aller vivre une retraite paisible dans une résidence pour personnes âgées. Pendant qu'il lui cherche une place dans les communes voisines, elle se sépare de son cheptel, poules, lapins, chèvres, et de son oie neurasthénique ; elle va se promener une dernière fois sur les terres qu'elle aimait ; range sa maison, prépare son petit baluchon. Le temps est venu pour elle de devenir rentière Au Doux Repos, et de se faire servir comme une princesse, elle qui a travaillé toute sa vie.

    Une autre vie commence, dans cette chambre-dortoir dont la fenêtre ne s'ouvre plus, dans ce réfectoire où tous les rentiers s'insultent et se chipent les meilleurs morceaux, dans la salle de télévision "l'armoire aux barbus", dans la chapelle où le curé se plaît à parler de la pluie et du beau temps, dans le jardin rouge et vert aux bancs en plastique. Entre sa voisine de chambre aveugle qui ne veut pas qu'on éteigne la lumière et qui attend que vienne la chercher son fils, comme il le lui a promis ; Berthomieux qui perd l'appétit de retour d'une visite-expresse chez ses enfants ; Lulu, qui s'arrange pour toucher de l'argent de poche au décès des pensionnaires du Doux Repos ; la folle Mauricette, qui fait baptiser par le curé complaisant un bien curieux bébé. Tout ce petit monde emporté par le flux des évènements qui décoiffent, la guerre des corbeaux (des corbaques), l'anniversaire-surprise de la centenaire, et vive la mariée ! au bruit des marches militaires. Et la vie passe ainsi, ponctuée par les visites intéressées d'un certain qui convoite la maison de la Mathilde, par ses visites à elle chez cette fille de mauvaise vie et son petit keiser, et par les souvenirs de son mari et de son frère tués tous les deux pendant la guerre, avant l'âge de trente ans, par les Boches qui pissaient entre les maisons. Et puis, fatalement, le soir arrive... et c'est l'heure du tilleul du soir.

    Un livre fourmillant de vie, qui réjouit par ses mots déformés (les ganguesters, le coqueci, le vétérinel), détournés (ses beaux estomacs : ses beaux seins) et son argot/patois plus qu'alerte (Nom de gueux ! une vieille en train de se recotillonner, le peilleraud, blagande, la sourdignole...). Tendre, triste, un livre sur la fin de vie en institution dans les années 70/80, au temps des deux-chevaux et de Tricots d'aujourd'hui.

     

    "Avec le temps, tout se transforme, tout s'use : les corps, les ressorts, les querelles, les semelles, les lames, les âmes."


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